La crise alimentaire dans le monde

Publié le par Pham Anh Dung

Tempête sur les grains

Par Paul Krugman, New York Times, 7 avril 2008

9 avril 2008« Les terres consacrées aux cultures de biocarburants de synthèse ne sont plus disponibles pour les cultures vivrières, ce qui fait que les subventions aux biocarburants sont un facteur majeur dans la crise alimentaire. On pourrait décrire les choses de cette façon : les gens meurent de faim en Afrique afin que les hommes politiques américains puissent gagner des voix dans les Etats agricoles des USA. » Fidel Castro l’avait prédit, Paul Krugman le confirme : les biocarburants provoquent la famine.  

On entend beaucoup parler de la crise financière ces jours-ci, mais n’oublions pas qu’une autre crise mondiale est en cours, et qu’elle concerne beaucoup plus d’hommes et de femmes.

Il s’agit de la crise alimentaire. Au cours des dernières années, les prix du blé, du maïs, du riz et d’autres denrées alimentaires de base ont doublé, voire triplé, et la majeure partie de ces augmentations ont eu lieu uniquement durant ces derniers mois. Si les prix plus élevés des produits alimentaires sont une gêne pour les Américains, même relativement aisés, ils ont un impact réellement dévastateur dans les pays pauvres, où la nourriture compte souvent pour plus de la moitié des dépenses d’une famille.

Il y a déjà eu des émeutes de la faim dans le monde. Les pays producteurs, de l’Ukraine à l’Argentine, limitent leurs exportations pour tenter de protéger leurs consommateurs nationaux, ce qui conduit à des protestations de la part des agriculteurs en colère - et aggrave encore la situation des pays qui ont besoin d’importer des produits alimentaires.

Comment est-ce arrivé ? La réponse tient en une combinaison de tendances à long terme, de circonstances défavorables - et de politiques inadaptées.

Commençons par les circonstances que l’on ne peut attribuer à une faute de quiconque.

Tout d’abord, il y a la progression du nombre de chinois consommateurs de viande, le nombre croissant de personnes dans les économies émergentes qui sont pour la première fois suffisamment riches pour commencer à se nourrir comme les Occidentaux. Il faut environ 700 calories de nourriture végétale pour produire 100 calories de viande bovine, et ce changement de régime alimentaire entraîne une augmentation de la demande globale de céréales.

Deuxièmement, il y a le prix du pétrole. L’agriculture moderne est très intensive en énergie : elle en consomme une grande quantité pour la production d’engrais, l’usage des machines agricoles, sans oublier le transport des produits de la ferme au consommateur. Avec la persistance du pétrole au-dessus de 100 dollars par baril, les coûts de l’énergie sont devenus un facteur important poussant à la hausse les prix agricoles.

Le prix élevé du pétrole, soit dit en passant, a également beaucoup à voir avec la croissance de la Chine ainsi que des autres économies émergentes. Directement et indirectement, la croissance de ces puissances économiques entre en concurrence avec le reste du monde pour s’approprier les ressources rares dont font partie le pétrole et les terres agricoles, ce qui entraîne une hausse des prix des matières premières de toutes sortes.

Troisièmement, il y a eu une série de conditions climatiques défavorables dans les principales régions de production céréalière. En particulier, l’Australie, qui est normalement le deuxième plus grand exportateur de blé, a été atteinte par une sécheresse dramatique.

J’ai écrit que ces différents facteurs à l’origine de la crise alimentaire ne sont imputables à quiconque, mais ce n’est pas tout à fait vrai. L’essor de la Chine et des économies émergentes est la principale force motrice des prix du pétrole, mais l’invasion de l’Irak - qui allait selon ses partisans amener un pétrole bon marché - a aussi réduit l’approvisionnement en pétrole à un niveau inférieur à ce qu’il aurait été sans cela.

Et les mauvaises conditions météorologiques, en particulier la sécheresse en Australie, sont probablement liées aux changements climatiques. Donc les hommes politiques et les gouvernements qui ont contrecarré l’action contre les gaz à effet de serre portent aussi une certaine responsabilité dans ces pénuries alimentaires.

Toutefois, là où les effets d’une mauvaise politique sont manifestes, c’est dans la croissance de ces « diables » qui ont pour noms éthanol biocarburants.

Les subventions accordées à la conversion des cultures vers les biocarburants étaient censées promouvoir l’indépendance énergétique et contribuer à limiter le réchauffement de la planète. Mais cette promesse était, comme le magazine Time l’a carrément écrit, une « escroquerie ».

C’est particulièrement vrai dans le cas de l’éthanol produit à partir du maïs : même en se basant sur des estimations optimistes, la production d’un litre d’éthanol à partir de maïs nécessite d’utiliser majeure partie de l’énergie que contient ce litre. Mais il se trouve que même des politiques apparemment « bonnes » en faveur des biocarburants, comme celle du Brésil prônant l’utilisation de l’éthanol produit à partir de la canne à sucre, ont pour résultat d’accroître le rythme du changement climatique, en accélérant celui de la déforestation.

Dans le même temps, les terres consacrées aux cultures de biocarburants de synthèse ne sont plus disponibles pour les cultures vivrières, ce qui fait que les subventions aux biocarburants sont un facteur majeur dans la crise alimentaire. On pourrait décrire les choses de cette façon : les gens meurent de faim en Afrique afin que les hommes politiques américains puissent gagner des voix dans les Etats agricoles des USA.

Et au cas où vous vous posiez la question, sachez que tous candidats restant en course pour la présidentielle ne valent guère mieux sur cette question.

Une dernière chose : l’une des raisons pour laquelle la crise alimentaire a pris aussi rapidement des proportions si dramatiques c’est parce que les principaux acteurs du marché des céréales ont fait preuve d’un coupable laisser aller.

Les gouvernements et les vendeurs de céréales du secteur privé maintenaient habituellement des stocks importants, pour le cas où une mauvaise récolte aurait provoqué une pénurie soudaine. Au fil des ans, toutefois, on a autorisé ces stocks de précaution à diminuer, principalement parce que tout le monde en était venu à imaginer que les pays souffrant de mauvaises récoltes pourraient toujours importer la nourriture dont ils avaient besoin.

Cet état de fait a rendu l’équilibre des ressources alimentaires mondiales très vulnérable à une crise affectant de nombreux pays à la fois - de la même façon que la commercialisation de titres financiers complexes, censée répartir les risques, a rendu les marchés financiers mondiaux très vulnérable aux chocs systémiques.

Que faut-il faire ? Le besoin le plus immédiat c’est d’aider davantage les familles en détresse : les Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies a lancé un appel désespéré pour obtenir des fonds.

Nous avons également besoin de prendre des mesures de limitation contre les biocarburants, qui s’avèrent avoir été une terrible erreur.

Mais il difficile d’apprécier l’impact que pourraient avoir de telles mesures. Les produits alimentaires bon marché, comme le pétrole bon marché, appartiennent peut-être au passé.

Publié dans Economie

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